Les apports des Congrès des notaires de France au droit

Plus de 200 textes législatifs et près de 130 règlementaires
inspirés des Congrès des notaires de France

La vocation successorale égalitaire de tous les enfants

91e Congrès des notaires de France, Tours 1995

1. Aspects historiques

1 - Du traitement inégal de l’enfant adultérin à la consécration de l’égalité des filiations.  Historiquement, comme le rappelle Marc Nicod, avec toute la mesure qui est la sienne, dans une remarquable étude parue à la revue Les Petites affiches le 30 septembre 20021, « Longtemps, le traitement successoral de l'enfant adultérin a été l'une de ces questions sensibles qui naissent des conflits de valeurs. En France, pays de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, le débat a pris un relief particulier : comment concilier la défense nécessaire du mariage, pilier de l'ordre social, et le principe suivant lequel " les hommes naissent et demeurent égaux en droits " ? Dans ce conflit, l'égalité des filiations a peu à peu pris le pas sur la protection de la famille légitime. La loi du 3 janvier 1972 en a constitué le premier temps fort, celle du 3 décembre 2001 en est le parachèvement ».

Et encore : « Dans notre droit, l'enfant adultérin était traditionnellement victime des conditions de sa naissance. Son infériorité successorale résultait, jusqu'en 1972, de deux séries de règles : d'une part, des obstacles étaient mis à l'établissement de la filiation adultérine ; d'autre part, à supposer la filiation malgré tout établie, l'enfant adultérin ne se voyait reconnaître que le statut de créancier alimentaire et non celui d'héritier ».

Tel était notamment, dans le droit fil de l'ancien droit, le système retenu par le Code civil de 1804. Même le droit révolutionnaire, pourtant célèbre pour son indulgence et sa générosité envers « les enfants de la nature », avait refusé de traiter les enfants adultérins à égalité avec les enfants naturels simples. Au mieux, c'est-à-dire sous l'empire de la loi du 12 brumaire an II (2 novembre 1793), ils n'avaient jamais eu droit qu'au tiers de ce qu'ils auraient pu recevoir s'ils avaient été légitimes, et cela toujours au titre de créanciers alimentaires.

Remarque

Ce bref rappel historique montre combien la loi du 3 janvier 1972 a fait preuve d'audace en permettant la reconnaissance du lien de filiation adultérine et en proclamant l'égalité des filiations (C. civ., art. 334, al. 1er), y compris dans le droit des successions (C. civ., art. 757 ancien).

Fin remarque

2 - Une égalité des filiations encore imparfaite en 1972, mais conciliant des intérêts divergents.  À l'époque de la loi de 1972, il semblait cependant nécessaire de limiter les effets de cette égalité de traitement en cas de concours avec le conjoint bafoué par l'adultère ou avec les enfants nés de l'union dont la foi avait été violée. De là, les restrictions occasionnelles – mais pratiquement fréquentes – des droits successoraux de l'enfant adultérin alors prévues par les articles 759 et suivants du Code civil, textes à présent abrogés.

Le dispositif protecteur de la famille légitime était double. L'enfant adultérin se voyait d'abord exceptionnellement privé de certaines prérogatives attachées à la qualité d'héritier du premier ordre (C. civ., art. 761 et 762 et 1097-1 ancien). Mais les restrictions n'étaient pas seulement qualitatives, elles étaient aussi quantitatives. Avec des modalités techniques variables, on appliquait, en gros, à l'enfant adultérin la règle de la demi-part lorsqu'il venait à la succession de son auteur en concours avec la famille légitime (C. civ., art. 759 et 760 et 915 ancien) ; infériorité à laquelle il n'était pas permis, en outre, de déroger au moyen de libéralités (C. civ., art. 908 et 908-1 ancien).

J’y ajouterai, pour ma part, les confidences du regretté Philippe Malaurie, avec qui j’entretenais des relations d’affection, qu’en 1972, lors de l’élaboration du texte, le doyen Carbonnier, sans doute influencé par sa religion (le doyen était protestant et pratiquant), n’avait pas osé franchir le pas, préservant ainsi les droits du conjoint bafoué.

« Replacée dans son contexte, celui de l'après-mai 1968, la loi du 3 janvier 1972 apparaît néanmoins comme un texte équilibré, marquant une transition au sein d'une société elle-même en mutation. La législation de 1972 manifestait, tout à la fois, la prééminence de l'égalité successorale et la défense du mariage. Les intérêts de chacun s'y trouvaient finalement ménagés : l'enfant adultérin était admis au nombre des héritiers, sans que sa présence ne préjudicie trop gravement aux droits du conjoint et des enfants légitimes. Le compromis de la demi-part était, au demeurant, doté d'une grande force symbolique. L'adultérin était enfin considéré comme un membre de la maison familiale, mais un membre qui devait rester sur le pas de la porte, qui ne pouvait en franchir librement le seuil ».

3 - Par la suite, au fil des années, l'équilibre voulu par le législateur de 1972 s'est rompu ; car la protection de la famille légitime a progressivement perdu de sa pertinence. Le mariage n’est plus ce qu’il était, et l’adultère n’est plus une infâmie…

Remarque

Bien évidemment, les notaires, confrontés assez souvent à cette situation, ne se montraient pas indifférents et compatissaient largement avec le sort des enfants concernés, qui, il faut bien le reconnaître, n’avaient aucune responsabilité dans la situation, mais qu’ils assumaient néanmoins totalement…

Fin remarque

2. Tentatives d’évolution

4 - Critiques doctrinales et jurisprudentielles de l’inégalité persistante. – Le notariat n’était bien naturellement pas le seul à s’émouvoir de la situation, et sa position s’inscrivait dans un contexte doctrinal plus large. De nombreux rapports parurent sur le sujet, de nombreux articles de doctrine furent publiés, sans que les choses changent pour autant. On ne saurait blâmer la position légaliste et loyaliste de la Cour de cassation, qui n’est pas chargée d’effectuer le travail du législateur lorsqu’il demeure taisant.

5 - Une lente évolution se fit jour cependant. La Cour de cassation, dans un premier temps, refusa aux plaideurs d’invoquer la Convention internationale des droits de l’enfant (CIDE), au motif que seuls les États contractants peuvent le faire, puis elle admit que le texte pouvait être invoqué par le justiciable, dans un arrêt qui n’est pas passé inaperçu…

La même juridiction, le 25 juin 1996, alors qu'il lui était demandé de dire que l'article 760 du Code civil était contraire à la Convention européenne des droits de l'homme et à la Convention internationale relative aux droits de l'enfant, en ce qu'il prive l'enfant adultérin de la moitié de sa part héréditaire et l'attribue aux enfants légitimes nés pendant le mariage auquel il a été porté atteinte, répondit, d'une part, que la vocation successorale est étrangère au respect de l'article 8 de la CEDH, et d'autre part, que la CIDE concerne seulement l'enfant, défini comme l'être humain n'ayant pas atteint l'âge de la majorité…

On comprendra mieux que la France, tout comme le fut avant elle l’Autriche, dans une affaire similaire, allait droit à une condamnation.

Mais ici encore, à la décharge de la Haute Juridiction, la Cour est là pour dire le droit, non pour le faire.

6 - Arrêt Mazureck. – Ce qui était prévisible et annoncé arriva : la France fut condamnée par la Cour de Strasbourg pour violation des dispositions de la Convention européenne des droits de l'homme à propos de la situation faite aux enfants adultérins par l'article 760 du Code civil sur le plan successoral, lorsqu’ils viennent en concours dans la succession de leur auteur commun avec des enfants légitimes issus du mariage au cours duquel ils ont été conçus.

L’arrêt2 fit grand bruit. Le regretté doyen conclut son commentaire en précisant : « La révision de notre droit des successions paraît maintenant inéluctable et elle est urgente ».

On connait la suite, la loi du 3 décembre 2001 opérant la réforme du droit des successions viendra – enfin –, mettre un terme à la difficulté. C’est heureux.

3. Le Congrès des notaires de mai 1995 : le droit et l’enfant

7 - En 1994, la présidence du Congrès des notaires échut à Jean-Pierre Ferret. Début d’une longue carrière au service de la profession, jusqu’à ce que la mort vienne le faucher prématurément.Il jeta son dévolu sur Jacques Vautier, pour assurer la fonction de rapporteur général et sur ma modeste personne pour assurer les rapports de droit international privé sur toutes les questions abordées pendant le congrès.

Il est vrai que nous étions d’anciens compagnons de route, ayant déjà été tous trois rapporteurs du Congrès des notaires des notaires de Strasbourg en 1989, puis du Congrès de Grenoble, en 1992, sous la présidence de Louis Taudin.

Nous étions tous trois convaincus qu’il fallait, sur ce point comme sur d’autres, que la législation change.

Le rapporteur de synthèse du Congrès que Jean-Pierre Ferret avait choisi était Jacqueline Rubellin-Devichi, alors professeur à l’université de Lyon III, éminente spécialiste des questions de droit de la famille, auxquelles elle a consacré toutes ses forces, avec la vigueur dont seuls les Corses (elle l’était, assurément) peuvent s’enorgueillir.

Lors des travaux préparatoires de ce congrès, elle nous assista dans l’élaboration des vœux, et en particulier, avec la fougue qui la caractérisait, dans la lutte contre l’inégalité des enfants adultérins.

Le vœu fut présenté par la troisième commission du congrès et fut voté pratiquement à l’unanimité des participants.

Dont acte.

8 - Vœu n° 5 : suppression de la discrimination frappant les enfants adultérins. – Dans le traditionnel rapport de synthèse, au cours duquel l’universitaire ayant accompagné les travaux, qui est un moment force du congrès, voici ce que madame Rubellin-Devichi disait, à propos du vœu concerné.

« Les vœux de la troisième commission (Letizia Perfetti, Pierre Amalvy, Richard Crone), concernaient trois domaines bien distincts : le premier vœu concernait l'éventualité d'une publication des actes de cautionnement.

Le vœu n° 2 emporta l'adhésion du congrès ; qui n'aurait pas accepté que l'enfant mineur devenu orphelin de son second parent bénéficie d'un abattement supplémentaire de 300 000 F dans la succession de ce dernier ?

()

Le vœu n° 5 est le plus éclatant, si l'on peut dire, de ceux que le congrès a adoptés. Hommage doit être rendu au notariat, qui sait évoluer, et avait rejeté un vœu semblable lors de son 72e congrès à La Baule.

Ce 91e congrès, réaliste et moderne, a voté la suppression des discriminations qui frappent l'enfant adultérin. À part quelques intervenants, qui se sont demandés si leurs confrères prônaient ainsi la polygamie ou l'union libre, cherchaient à « médiocriser » la famille ou encourageaient les entreprises de démission mais après tout, ils étaient dans la ligne des explications données par l'ancien garde des Sceaux lorsqu'il décidait de délester le projet n° 1941 des améliorations concernant le sort de l'enfant adultérin qu'avait établi, en 1992, le projet n° 2530, vous avez tous admis qu'aujourd'hui, la question n'est plus celle de la protection de la famille légitime, puisque le père adultère peut divorcer, légitimer l'enfant adultérin par un remariage ou par autorité de justice, mais la possibilité de l'homme (ce peut être, mais ce sera plus rarement celle de la femme), qui à l'heure actuelle trouve dans la loi le moyen de renier sa paternité, ou plutôt les devoirs qui en découlent. On a, deux exemples assez récents de pères adultères dont l'un a assumé ses devoirs d'autorité parentale et d'éducation vis-à-vis de son enfant née hors mariage, et dont l'autre est décédé après avoir refusé de se soumettre à une expertise sanguine, qui aurait démontré d'ailleurs la paternité que le tribunal a affirmée : l'enfant, également de sexe féminin, a été élevée par la mère seule, et à sa majorité a obtenu des héritiers une part (amputée de moitié) de la succession de ce père qui avait fui ses responsabilités »…

9 - Un congrès prémonitoire. – On ne saurait être plus clair.

Le congrès avait – de manière prémonitoire – anticipé très largement sur l’évolution législative future, pour une large part fondée sur la condamnation de la France par la Cour de Strasbourg, mais aussi inspirée par les travaux du congrès des notaires, dont le retentissement, y compris dans la grande presse, avait marqué les esprits.

Chacun s’accorde à dire que les travaux de ce congrès ont très largement inspiré le législateur, lors de l’élaboration de la première réforme du droit des successions (2001) qui aura tant tardé (plus de 13 ans de projets et de contre-projets, tous avortés, jusqu’à ce que…).

Voilà bien, ici, une manifestation de l’influence bénéfique des travaux des notaires de France.

Ces derniers sont au cœur des familles, et leurs connaissances des difficultés sont grandes et particulièrement précieuses.

On le sait, le congrès des notaires n’est pas une institution corporatiste, tout sujet professionnel est banni, seuls les sujets sur lesquels des mises au point sont nécessaires sont utiles ou les congrès d’anticipation admis.

En cela, le congrès des notaires de Tours aura fait preuve d’anticipation, 6 ans avant que le législateur intervienne.

Qu’il en soit remercié.

 

L'essentiel à retenir

 

  • L’anticipation de la profession lors du Congrès de Tours en 1994 est un exemple topique de l’influence des vœux du Congrès des notaires de France sur l’évolution des lois.
  • Le réalisme de la profession, par la multiplicité des situations qui se présentent à elle, l’emporte toujours.
  • L’aspect non corporatiste des Congrès des notaires est le gage de la fiabilité de ses vœux.

 

Mots-clés : Succession

 

Notes

  1. CEDH, 1er févr. 2000, Mazureck c/ France : LPA 5 juill. 2000, p. 18, note J. Massip ;  JCP G 2000, II, 10286 , note Fr. Sudre et A. Gouttenoire ; JCP G 2000, I, 278 , obs. Le Guidec ; JCP G 2000, I, 293, obs. J. Rubellin-Devichi.

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