Introduction générale - Le notaire et la loi : « Et voudriez-vous… »
105e Congrès des notaires de France, Lille 2009
1 - Propositions du Congrès. – Didier Coiffard et son équipe de rapporteurs avaient choisi de présenter vingt-trois propositions : le Congrès d'une manière générale a suivi les rapporteurs, et leurs argumentations. Par la suite, le législateur a suivi le Congrès en reprenant à son compte quatre de ces propositions. De façon arbitraire, les développements portent sur l'argumentaire et l'histoire de la 1re proposition formulée par la 1re commission (le fonds de commerce et le fonds artisanal) : elle concernait le bail commercial, et plus précisément la sanction des clauses d'un bail, non conformes au statut des baux commerciaux.
2 - Lors des débats, en mai 2009, les rapporteurs ont présenté le point de droit et l'argumentation de la proposition (1). Les échanges ont confirmé l'intérêt du sujet ainsi que la pertinence de ce vœu (2). La transformation de la proposition en un texte du Code de commerce est intervenue quelques années plus tard (3).
Remarque
Les habitués des congrès n'ignorent pas l'assiduité des universitaires aux travaux des congrès. Les fréquentes prises de parole sont respectueusement écoutées. Peut-être certains ignorent que les équipes de congrès les associent fréquemment aux travaux préparatoires. Le rapport du congrès comme les propositions constituent le travail collectif d'une équipe, bénéficiant d’éclairages extérieurs. Ainsi, la première commission avait sollicité le professeur Joël Monéger, spécialiste reconnu des baux commerciaux. Poursuivant la logique, il était opportun de le consulter à l'aune de ces quelques lignes.
Fin de remarque
1. Le point de droit et l'argumentation de la proposition
3 - Objectif des rapporteurs. – L'objectif des rapporteurs était de protéger les parties et notamment le preneur, confrontés en cours d'exécution du bail, le plus souvent vers la fin, à des clauses non conformes au statut et remettant en cause le droit au renouvellement, clé de voute du statut des baux commerciaux.
4 - Exemple de clause privant le preneur de son droit au renouvellement. – La démonstration des rapporteurs s'est appuyée sur un exemple tiré de la jurisprudence. Un bail commercial est établi avec la stipulation suivante : le renouvellement s'effectuera si le locataire en fait la demande à une date précise (couperet) par lettre recommandée avec accusé de réception. La clause n'est pas conforme au statut. Le locataire laisse passer la date prévue dans le contrat, effectue sa demande ultérieurement, mais le bailleur, en application de la clause, refuse le renouvellement sans indemnité. Le locataire entame alors une procédure pour voir reconnaître son droit au renouvellement, en application des articles L. 141-5 et suivants du Code de commerce.
5 - En première instance, puis en appel, la décision est favorable au locataire : la clause est réputée non écrite. Le bailleur se pourvoit en cassation. La troisième chambre civile de la Cour de cassation reconnait que toute clause contraire au statut est nulle. Mais elle rappelle également que la procédure doit être engagée dans les 2 ans de la signature du bail. À défaut la prescription s'applique. Au regard de cette jurisprudence, le locataire doit, lors de la conclusion du bail commercial vérifier la conformité des clauses et en cas de doute engager une procédure.
Remarque
Cette jurisprudence est favorable au bailleur de mauvaise foi. Celui-ci peut être tenté d'insérer dans le bail une clause contraire au statut des baux commerciaux avec l'espoir que le locataire n'intente aucune action dans le délai de 2 ans.
Fin de remarque
6 - Proposition de substitution de la sanction de la nullité par le réputé non écrit. – Le remède proposé consiste à généraliser, dans le statut des baux commerciaux, la sanction du réputé non écrit au lieu et place de la nullité. Pour en comprendre l’intérêt, il convient de présenter la notion de la nullité avant d'aborder le réputé non écrit.
7 - Régime de la nullité. – La nullité est la sanction juridique d'un acte ou d'une clause entachée d'un vice de forme ou d'une irrégularité au fond. Dès lors, de quel délai le locataire dispose-t-il pour agir ? Selon l'article L. 145-60 du Code de Commerce, l'action doit être exercée dans les 2 ans à peine de prescription, mais la loi ne précise pas le point de départ. Pour le déterminer, il y a lieu de se reporter au droit commun : en l'occurrence à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription. L'article 2224 du Code civil fait courir « la prescription à compter du jour où le titulaire du droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer ». S'il est difficile de déterminer le moment où le preneur a pris conscience de l'irrégularité de la clause, il est certain qu'il a eu connaissance de la clause elle-même lors de la signature du bail. En conséquence, le locataire est tenu d'agir dans les 2 ans de la signature du bail pour demander la nullité d'une clause contraire au statut. Peu importe que cette clause n'ait vocation à s'appliquer qu'au moment du renouvellement.
8 - Au-delà des 2 ans, il dispose néanmoins de deux possibilités pour agir :
• 1re possibilité : le locataire attend la demande judiciaire du bailleur pour faire exécuter la clause litigieuse, puis, par voie d'exception, soulève la nullité en application de l'adage : l'action est temporaire, l'exception est perpétuelle. La difficulté reste d'amener le débat sur la clause faisant litige tout en n'étant pas le demandeur ;
• 2e possibilité : exiger lors du renouvellement la suppression de la clause : encore faut-il que cette clause n'empêche pas le renouvellement. La jurisprudence de la Cour de cassation autorise les juges du fond à modifier le contenu d'un bail renouvelé sur ce seul motif.
9 - Hormis ces deux possibilités, le locataire est tenu d'agir dans le court délai de 2 ans. Cette période correspond probablement à son lancement d'activité : le locataire n'a alors peut-être pas les moyens et le temps pour mener une procédure.
Attention
Ce risque de l'existence d'une clause non conforme se transmet aux locataires successifs. Ceux-ci devront avec leur conseil, procéder à un examen approfondi des clauses lors de l'acquisition du droit au bail.
Fin d’attention
10 - Régime du réputé non écrit. – Au-delà de la nullité, le statut des baux commerciaux connait une autre sanction, pour affirmer son caractère impératif : la clause non-conforme est alors réputée non écrite. C'est le cas notamment aux articles L. 145-16, alinéa 2 et L. 145-45 du Code de commerce. On parle alors du « réputé non-écrit ». Le caractère principal d'une clause réputée non écrite est d'être considérée comme n'ayant jamais existé. Dès l'origine, elle n'a aucune valeur obligatoire entre les parties. Le doyen Carbonnier précisait que cette sanction ressemblait à l'inexistence. La présence d'une clause réputée non écrite n'a aucune incidence sur l'existence de l'acte. La clause étant affectée dès sa rédaction par la sanction, aucune prescription ne court. Par conséquent, le locataire peut agir à tout moment et notamment lors de l'exécution de la clause. Il peut surtout se comporter dans l'exécution du contrat comme si la clause litigieuse n'existait pas, en appliquant le statut légal. L'autre partie aura le loisir d'entamer une procédure, mais ne s'y risquera sans doute pas.
Remarque
Réputer non écrite toute clause contraire au statut garantit un meilleur respect des règles d'ordre public du bail commercial (que n'assure pas la sanction de la nullité, cette dernière pouvant se prescrire), et contribue à déjudiciariser les relations bailleur/preneur.
Fin de remarque
2. L'apport des débats lors du Congrès
11 - Accueil de la proposition et parallèle avec le régime de la copropriété. – Les interventions suivant l'exposé de la proposition ont été, à une exception près, favorables, mais nuancées. La première intervention fut en défaveur sans toutefois entamer la conviction des rapporteurs. L'intervenant, fin connaisseur de la Cour de cassation, a d'abord précisé que la matière n'était pas son domaine de prédilection. Il fit un parallèle avec le régime de la copropriété, en ajoutant que la prescription venait d'être réformée, et plus précisément raccourcie. Le rapporteur général du 105e Congrès a remis l'église au milieu du village : « on ne s'adresse pas du tout aux mêmes personnes ».
12 - En effet, même si la comparaison avec la copropriété était intéressante, l'analyse a contrario méritait un arrêt sur image. Dans cette opinion négative, l'intervenant avait rappelé que suite à une AG de copropriété le délai de remise en question est court, pour garantir la stabilité des décisions prises. Or, pour le bail commercial, l'effet est inverse.
13 - En matière de copropriété, remettre en cause tardivement une décision relative à des travaux sur l'immeuble, ou à l'autorisation d'implantation d'une activité est préjudiciable : les travaux sont effectués, ou l'activité est implantée : comment revenir en arrière ?
14 - En matière de bail commercial, le contexte est très différent : d'une part, c'est lors du renouvellement que les effets de la clause litigieuse apparaissent ; d'autre part, l'assemblée générale de copropriété engage une multitude de protagonistes, à égalité entre eux, alors que le bail commercial met face à face deux co-contractants dans un rapport de force que le statut (d'ordre public) des baux commerciaux tente d'équilibrer ; enfin, la remise en cause de la clause litigieuse à seulement pour conséquence d'apporter au preneur une protection conforme à l'esprit du statut légal.
15 - Par la suite, deux universitaires de renom sont venus à l'appui de la proposition. Plus spécifiquement, le professeur Monéger a validé la réflexion des rapporteurs en ces termes : « Votre proposition est marquée au coin du bon sens». Il ajouta fort opportunément : « l'idée du non-écrit, constatée par les conseils des parties, provoquera certainement une réduction du recours au juge, répondant ainsi à une critique du premier intervenant sur l'augmentation potentielle du contentieux».Pour conclure, un avocat spécialisé dans le domaine, fera référence à l'esprit du statut légal : aucun d'entre nous ne peut être certain que dans le statut des baux commerciaux dont la rédaction est stratifiée, non seulement depuis 1953 mais depuis 1926, les auteurs successifs, le législateur ou les auteurs des décrets, aient voulu apporter une distinction au fil des rédactions entre la clause nulle et la clause réputée non écrite.
16 - Mise aux voix, la proposition a été largement adoptée. Ainsi validée, qu'est devenue cette proposition ?
3. La transformation d'une proposition en un texte
A.- La consécration de la proposition par le législateur
17 - Le XXIe siècle a vu se développer les lois fleuves, précisément la loi SRU (2000). De même, la loi Pinel apparaît en bonne place1 ; Même si cette inflation juridique est contestable, est-il possible d'imaginer un projet de loi dont le seul résultat serait de changer quelques mots dans le Code de commerce ! Aussi comme dans beaucoup d'autres lois thématiques, certaines dispositions viennent s'insérer et la loi devient un réceptacle, parfois un fourre-tout avec des ajouts sans rapport précis avec le fond du texte. En l'espèce, l'insertion fut heureuse et parfaitement justifiée, Elle tendait à protéger les commerçants et artisans.
18 - Modification de l’article 6 de la loi Pinel du 18 juin 2014. – La consécration de la 1ère proposition s'illustre avec la loi Pinel du 18 juin 2014 en son article 6 ainsi modifié : I.– À l'article L. 145-15 du même code, les mots : « nuls et de nul effet » sont remplacés par les mots : « réputés non écrits ».
II.– L'article L. 145-16 du même code est ainsi modifié :1° Au premier alinéa, le mot : « nulles » est remplacé par les mots : « réputées non écrites » (…).
19 -Textes en vigueur. – La rédaction toujours en vigueur actuellement pour les deux articles du Code de commerce est la suivante :
• article L. 145-15 : sont réputés non écrits, quelle qu'en soit la forme, les clauses, stipulations et arrangements qui ont pour effet de faire échec au droit de renouvellement institué par le présent chapitre ou aux dispositions des articles L. 145-4, L. 145-37 à L. 145-41, du premier alinéa de l'article L. 145-42 et des articles L. 145-47 à L. 145-54 ;
• article L. 145-16 : sont également réputées non écrites, quelle qu'en soit la forme, les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu'il tient du présent chapitre à l'acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise ou au bénéficiaire du transfert universel de son patrimoine professionnel.
B.- Le parcours législatif
20 - Pour autant cette disposition ne faisait pas partie du projet initial du Gouvernement. Elle a été ajoutée en 1ère lecture à l'Assemblée nationale, à l'initiative du rapporteur de la loi démontrant l'utilité des travaux du Congrès.
C.- Les conséquences en droit positif
21 - Portée du texte. – Il pourrait sembler inutile de les rechercher, tant le texte était clair. C'était sans compter la résistance de certains propriétaires s'employant à minimiser la portée du texte. Pour preuve, l'éventualité d'une prescription pour la mise en œuvre du « réputé non écrit », et l'application ou non du nouveau texte aux baux en cours ont été soulevés dans le cadre d'un contentieux définitivement tranché par la Cour de cassation.
22 - Arrêt de principe. – Dans un arrêt de principe rendu le 19 novembre 2020, la troisième chambre civile énonce non pas une mais deux solutions en considérant pour la première fois, d'une part, que la modification de l'article L. 145-15 du Code de commerce, par la loi Pinel, est applicable aux baux en cours, et d'autre part, que l'action tendant à voir réputée non écrite une clause du bail n'est pas soumise à prescription.
D.- Et la pratique notariale ?
23 - Renforcement de la responsabilité du rédacteur d’acte. – Le professeur Moneger, très récemment consulté, confirme que cette nouvelle formulation augmente la responsabilité du rédacteur d'acte en ces termes : « En pratique, le rédacteur d'acte doit être particulièrement vigilant pour déceler la pertinence de l'acte dont la rédaction lui a été confiée ou le contrat de bail dont il viendrait à établir la cession à un nouveau preneur ou son apport à une société. Il doit évaluer la conformité aux dispositions impératives des propositions faites par les parties à l'acte. Il engage sa responsabilité pour défaut de conseil et ne peut insérer à son acte une stipulation qui viole les dispositions du statut des baux commerciaux.De même, le notaire doit avoir à l'esprit que contrairement à l'ancienne sanction de la nullité, si la stipulation en cause est contraire aux dispositions impératives visées aux articles L. 145-15 et L. 145-16 du code de commerce, elle ne peut "bénéficier" de l'effet de la prescription biennale visée à l'article L. 145-60 du code de commerce. Ainsi, à titre d'exemple, la dissimulation d'un bail commercial sous l'habit d'une pseudo location gérance de fonds de commerce sera réputée non-écrite et le commerçant exploitant bénéficiera de la protection des dispositions statutaires prévues au code commerce aux articles L. 145-10 à L. 145-30. Dans une formulation synthétique, il convient de garder à l'esprit que ce qui est non-écrit ne peut réapparaître par l'effet du temps. Ce qui est contraire aux dispositions impératives relatives au droit au renouvellement et aux dispositions des articles L.145-4 C. com. (durée du bail), L. 145-37 (Loyer et charges) à L. 145-41(résiliation du bail) ne peut retrouver une forme de validation par l'écoulement du délai de prescription. Ce dernier ne peut être invoqué que dans les cas qui ne sont pas visés expressément par la loi ».
24 - Conclusion. – Le professeur Monéger n'a pas varié sur son approbation à ce texte : « En dépit de ses nombreuses faiblesses, la loi “Pinel” du 18 juin 2014 est à saluer pour cet apport à la moralisation du contrat de bail ». Sans pouvoir le démontrer de manière quantitative, le « non-écrit » a très probablement évité des contentieux que la prescription permettait antérieurement sous le régime de la nullité. C'est dans la discrétion que cette disposition fait son œuvre démontrant s'il en est encore besoin que le notariat contribue à la paix au cœur de la société (raison d'être du notariat).
Mots-clés : Contrat et obligations - Droit des contrats - Clause non conforme - Réputé non écrit