Introduction générale - Le notaire et la loi : « Et voudriez-vous… »
100e Congrès des notaires de France, Paris 2004
1 - Le droit de disposer à titre gratuit de son patrimoine est un droit constitutionnel mais ce droit et cette liberté sont limités par la réserve héréditaire. « Expression d'un devoir familial minimum, celle-ci fixe les bornes dans lesquelles se meut le pouvoir de la volonté »1.
2 - La réserve héréditaire au cœur des propositions– Mais de tout temps, cette réserve héréditaire a suscité de nombreux débats pour en fixer le curseur, comme en témoignent les travaux préparatoires du Code civil2. Le notariat lors du 72e Congrès des notaires (Deauville 1975) avait par deux propositions importantes ouvert la voie, l'une sur l'abolition de la prohibition des pactes sur succession future, et l'autre sur la faculté de renoncer à ses droits réservataires. Le 96e Congrès des notaires (Lille 2000), sans appeler à la prohibition des pactes, avait approuvé la proposition permettant la donation avec saut de génération par la validation d'un pacte de renonciation de la première génération3.
3 - Retour sur les orientations du 100e Congrès des notaires. –Lors du 100e Congrès des notaires (Paris 2004), qui commémorait aussi le bicentenaire du Code civil, il nous a paru indispensable de poursuivre le débat ouvert en 1975 au regard de l'évolution de notre société, des assouplissements de plus en plus nombreux à l'ordre public successoral, en structurant notre travail sur deux axes :
• l'égalité protégée ;
• la liberté contractualisée.
1.L'égalité protégée
4 - L'égalité successorale, renouvelée et assouplie dans son principe par différentes lois, a aussi été contournée par certaines techniques juridiques.
A. - Une protection renouvelée
5 - Del’ascendant au conjoint réservataire. – Prenant en compte l'évolution de la famille et de la place importante du conjoint survivant, la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 va amorcer un mouvement de balancier des ascendants vers le conjoint qu'achèvera la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 en supprimant la réserve de ces premiers comme le préconisait notre rapport au Congrès4.
Remarque
Toutefois, l'instauration de cette réserve n'assurait pas par son quantum du quart le maintien du cadre de vie. Elle entraînait des difficultés sur l'action en réduction des donations consenties avant le 1er juillet 2002, et pouvait constituer un obstacle au mariage dans certaines hypothèses. Autant de raisons qui avaient conduit à la présentation de la 4e proposition d'introduire un pacte de renonciation à cette réserve.
Fin de remarque
6 - Traitement égalitaire des descendants. –La loi du 3 décembre 2001 va renforcer la réserve en consacrant l'égalité des filiations, en mettant fin aux discriminations affectant l'enfant adultérin et en permettant la représentation de l'indigne.
7 - De la réserve en nature à la réserve en valeur. –Réaffirmée dans son principe, la réserve devait aussi connaître au fil du temps un affaiblissement pour des raisons le plus souvent économiques. La réserve dans sa conception originelle était conçue comme une réserve en nature. Elle a glissé vers une réserve en valeur en accueillant dans un premier temps de nombreux cas de réduction en valeur jusqu'à en devenir le principe par loi du 23 juin 2006 comme nous en avions émis le souhait dans le rapport au Congrès5.
B. - Une protection contournée
8 -Contournement de la réserve. –« Si la faculté de tester est interdite ou trop restreinte…les plus horribles fraudes auront lieu dans les familles, même les plus honnêtes » craignait Portalis6. Force est de reconnaître que les moyens de contourner la réserve existent. Ces moyens, tout à fait légaux, sont mis en œuvre sans l'assentiment des héritiers réservataires et souvent à leur insu. L'assurance-vie en est l'exemple le plus marquant. Tout d'abord la recherche de l'information sur ces contrats et le caractère manifestement exagéré des primes est un parcours de longue haleine semé d'embûches parfois insurmontables. Le commodat, les avantages matrimoniaux dans les familles traditionnelles, la clause de tontine, l'utilisation des techniques sociétaires, voir la délocalisation dans des États ne connaissant pas la réserve, sont autant de techniques, qui si elles sont bien utilisées, permettent de contourner une protection trop rigide.
9 - C'est ce constat qui nous a conduit à privilégier l'utilité sur le risque en préconisant l'introduction d'un pacte de famille permettant en toute transparence de s'affranchir des règles de la réserve dans un cadre sécurisé.
2. Liberté contractualisée
10 - Les notaires, dans l'exercice de leurs fonctions, sont l'interface entre le droit et son application. La prohibition des pactes sur succession future constituait souvent un obstacle à la mise en place de solutions voulues par les familles. Pourtant, le législateur avait autorisé certains pactes tels l'institution contractuelle par contrat de mariage, les avantages matrimoniaux, la faculté d'acquisition ou d'attribution dans les conventions d'indivision, les articles 918 et 930 du Code civil dans leur version d'avant 2006. Fallait-il aller plus loin ?
A. -La réflexion issue de droit comparé
11 - Influence du droit suisse. –Les bornes posées par le Code civil entravaient aussi notre façon de raisonner, notre façon de penser autrement. L'étude du droit suisse au travers de différents traités et la rencontre avec le professeur Paul-Henri Steinaueur de l'université de Fribourg nous ont permis de voir au-delà de ces bornes. Mais surtout, la rencontre avec les notaires Suisse et le sondage réalisé auprès de 58 études ont achevé de convaincre du caractère indispensable des pactes pour gérer toutes les situations particulières auxquelles nous sommes confrontées. Lors de l'élaboration du Code Fédéral, la Suisse a fait le choix d'accueillir les pactes permettant de déroger aux droits réservataires, privilégiant l'utilité sur le risque. Et ces situations où l'on en mesure l'utilité sont nombreuses : les transmissions d'entreprises, les transmissions au sein des familles recomposées, les transmissions aux fondations, les transmissions en démembrement face à une réserve en propriété, etc.
12 - Le choix du pacte de renonciation à la réserve héréditaire. –Les pactes dérogent au droit successoral, l'affaiblissent ou le renforcent, allant du pacte d'institution qui permet de créer une véritable réserve contractuelle, au pacte de renonciation à la réserve héréditaire. Le choix a été fait de se concentrer sur le pacte de renonciation, estimant que nous n'étions pas prêts à accueillir le pacte d'institution, la liberté de tester jusqu'à son dernier souffle devant être préservée.
B. - Le projet de réforme des successions et des libéralités
13 - Entretien avec la chancellerie. – Lors de nos travaux, la chancellerie a été rencontrée, une partie importante de notre travail tant sur les pactes suisses que les pactes allemands lui a été remise en espérant que ce travail alimente la réflexion sur le projet de réforme des successions et des libéralités, rejoignant en cela l'offre de loi7 qui proposait une codification de la donation-partage transgénérationnelle.
14 - Évolution du projet de réforme. – Le Conseil supérieur du notariat, consulté sur le projet de réforme qui contenait l'institution de la renonciation à l'action en réduction définit par les articles 929 et suivants, proposa un certain nombre de modifications tant sur la forme que sur le fond. Puis le législateur apporta ses propres modifications en imposant un deuxième notaire nommé par la chambre des notaires.
15 - Adoption de la proposition et réception par le notariat. – Le principal était enfin là : après 2 siècles, notre droit, par la loi du 23 juin 2006, accueillait une dérogation importante au droit de la réserve et à la prohibition des pactes sur succession future fondé sur le consentement éclairé. La pratique notariale a depuis fait sienne ce pacte de renonciation avec la prudence et la mesure qu'il convient.
Mots-clés : Succession - Renonciation anticipée à l’action en réduction (RAAR)