Les apports des Congrès des notaires de France au droit

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inspirés des Congrès des notaires de France

La reconnaissance par le droit de l’urbanisme du mécanisme de la prescription extinctive (C. urb., L. 421-9)

99e Congrès des notaires de France, Deauville 2003

1 - Lors de la rédaction du rapport consacré à la vente d’immeuble, entamée à la fin de l’année 2001, nous avions passé en revue les risques attachés à l’achat d’une construction qui serait irrégulière1 au sens du droit de l’urbanisme.

Notre idée était – après avoir rappelé que tout bien même illégal pouvait être l’objet d’un contrat de vente – de recenser les risques attachés à la propriété d’un tel ouvrage2.

Aussi, après avoir constaté que les risques civils, pénaux et fiscaux étaient tous éteints par l’écoulement du temps, nous avons relevé qu’un risque administratif, lui, demeurait présent.

2 - Risque administratif. – Pour le juge administratif, une construction qui n'avait pas fait l'objet d'une autorisation pouvait se voir opposer son irrégularité sans limite de temps à l'occasion de toute nouvelle demande de permis.

Ainsi par exemple, si, en 1975, une personne avait construit sans autorisation une aile supplémentaire à sa maison, la demande d’un permis déposée en 2007 pour modifier une façade et faire une nouvelle extension pouvait lui être refusée tant que l'aile de 1975 n'avait pas fait l'objet d'une régularisation ; et ce alors même qu’elle se trouvait à l’abri de toute poursuite pénale ou sanction fiscale.

3 - Application de la jurisprudence Thalamy. En effet, pour le Conseil d’État, dès lors qu’une autorisation est demandée pour des travaux nouveaux prenant appui sur une construction existante irrégulière, elle ne peut être délivrée que si la situation existante est régularisée, c'est-à-dire si la demande d’autorisation porte sur l’ensemble de la construction3. Telle était et est toujours la rigueur de la jurisprudence Thalamy.

Autrement dit,si la mise en cause de la construction n'était plus possible par voie « d'action » (poursuites), elle restait possible par voie « d'exception »,l'Administration pouvant opposer l'irrégularité à tout pétitionnaire sans limite de temps.

Le piège pouvait finir par se refermer car la régularisation, si elle était demandée, devait s’apprécier au regard des règles applicables lors de la demande de régularisation donc, dans notre exemple, aux règles de 2007 et non celles de 1975. Si les règles applicables en 2007 avaient évolué défavorablement, cela conduisait à figer la construction dans sa configuration existante ou sa destination actuelle, en bloquant toute évolution ou extension.

4 - Réaction de la pratique. –Il en résultait ce que le président de la 1re commission du congrès, Thierry Delesalle, et moi-même, son rapporteur, avions considéré comme une sorte de sanction imprescriptible. Cela nous avait conduit, avec l’appui de Dominique Larralde, notre rapporteur général, publiciste de formation et de culture et spécialiste reconnu du droit de l’urbanisme, à formuler une proposition pour réclamer l'instauration d'une prescription décennale4.

Après des débats intéressants avec les congressistes et les professeurs et praticiens présents au centre international de Deauville (CID), la proposition a été adoptée à une large majorité par les notaires votants au Congrès.

5 - Réaction du législateur. –Bien que nous n’ayons pas eu l’occasion de la présenter en détail à des parlementaires ou au ministère concerné, elle a manifestement été entendue (ou lue) puisque le législateur, à l’occasion de la loi « engagement national pour le logement», a posé le principe d'une prescription administrative décennale, contenue à l'alinéa 1 d’un nouvel article L. 111-12 du Code de l'urbanisme5 ainsi rédigé :

« Lorsqu'une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou de déclaration de travaux ne peut être fondé sur l'irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l’urbanisme… ».

Il était donc posé le principe que, lorsqu'une construction est achevée depuis plus de 10 ans, le refus de permis de construire ou de déclaration de travaux pour des travaux nouveaux ne peut plus être fondé sur l'irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l'urbanisme.

6 -Limites de la prescription décennale. –L'affirmation du principe d'une prescription était en soi un évènement important qui devait être salué par les civilistes, dans la mesure où il semblait exister un débat chez certains publicistes pour savoir si l'idée même d'une prescription était un principe à vocation générale dans tout le droit positif, ou s'il ne devait concerner que le droit privé et le droit pénal et devait rester inconnu du droit administratif.

Cependant, dès son origine, le texte, après avoir posé ce principe dans son premier alinéa, a posé dans son second alinéa toute une série d'exceptions qui en ont hélas immédiatement limité la portée :

« Les dispositions du premier alinéa ne sont pas applicables :

a)Lorsque la construction est de nature, par sa situation, à exposer ses usagers ou des tiers à un risque de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente ;

b)Lorsqu'une action en démolition a été engagée dans les conditions prévues par l'article L. 480-13 ;

c)Lorsque la construction est située dans un site classé en application des articles L. 341-2 et suivants du code de l'environnement ou un parc naturel créé en application des articles L. 331-1 et suivants du même code ;

d)Lorsque la construction est sur le domaine public ;

e)Lorsque la construction a été réalisée sans permis de construire ;

f)Dans les zones visées au 1° du II de l'article L. 562-1 du code de l'environnement »

Ainsi, dès son origine, le bénéfice de cette prescription était refusé au titre de la protection d'intérêts supérieurs, ce qui pouvait s’entendre. Mais, le plus surprenant est que dans son e), le nouvel article L. 111-12 du Code de l’urbanisme refusait le bénéfice de la prescription lorsque la construction avait été réalisée… sans permis de construire !

7 - L’exception des constructions réalisées sans permis. –L'insertion de cette seconde exception était saugrenue,puisqu'elle ruinait par elle-même la portée attendue du principe posé dont l'objectif était précisément de « valider » par l'écoulement du temps la situation de constructions irrégulières au premier rang desquelles se trouvent celles qui, précisément, avaient été édifiées sans permis.

Remarque

Il s’est avéré que cette exception a été ajoutée à la demande des députés qui ne voulaient pas que des constructions sauvages soient validées par l'écoulement du temps.

Fin de Remarque

À l’occasion d’un article6, nous avons souligné que mettre à l’abri d’une sanction par le simple écoulement du temps est précisément la fonction même d’une prescription… (sic !) et que du reste, les constructions en question étaient déjà celles qui, déjà dans le droit positif, ne pouvaient plus faire l'objet d'actions en démolition. Nous avons maintenu l’idée que dès lors que l'Administration n'avait pas, dans les délais prévus, utilisé les moyens de police dont elle disposait pour faire cesser le trouble, il fallait en déduire que la construction ne posait pas de problème et que le corps social devait accepter qu'elle soit validée. En d’autres termes, il ne fallait ici pas moins qu’ailleurs dans le système juridique, admettre la vocation pacificatrice de l’écoulement du temps.

8 - Comme le relèvent Sébastien Willig et Lucie Pernet7, la question reste vivante et le Conseil d’État a clarifié le raisonnement à adopter face à une telle situation dans une décision du 16 mars 2015, et les deux auteurs synthétisent les règles applicables de la façon suivante :

« Lorsqu’un bâtiment a été édifié ou transformé sans les autorisations d'urbanisme requises :

il appartient au propriétaire qui envisage d'y faire de nouveaux travaux de déposer une déclaration ou de présenter une demande de permis portant sur l'ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu'il avait été initialement approuvé ou de changer sa destination. Il en va ainsi même dans le cas où les éléments de construction résultant de ces travaux ne prennent pas directement appui sur une partie de l'édifice réalisée sans autorisation ;

il appartient à l'autorité administrative, saisie d'une telle déclaration ou demande de permis, de statuer au vu de l'ensemble des pièces du dossier d'après les règles d'urbanisme en vigueur à la date de sa décision ; elle doit tenir compte, le cas échéant, de l'application des dispositions de l’article L. 421-9 du Code de l’urbanisme ;

dans l'hypothèse où les travaux ont été réalisés sans permis de construire en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables, si l'ensemble des éléments de la construction qui ont eu ou auront pour effet de modifier le bâtiment tel qu'il avait été initialement approuvé ou de changer sa destination ne peuvent être autorisés au regard des règles d'urbanisme en vigueur à la date de sa décision, l'autorité administrative a toutefois la faculté, lorsque les éléments de construction non autorisés antérieurement sont anciens et ne peuvent plus faire l'objet d'aucune action pénale ou civile, après avoir apprécié les différents intérêts publics et privés en présence au vu de cette demande, d'autoriser, parmi les travaux demandés, ceux qui sont nécessaires à la préservation de la construction et au respect des normes. »

Remarque

Ainsi donc, le ver est dans le fruit et le principe dégagé par notre proposition a survécu, même si son champ d’application n’est pas – pour l’instant ? – celui que nous avions imaginé.

Le combat pour cette prescription reste d’actualité, en particulier si l’on se situe dans la perspective de « reconstruire la ville sur la ville ». Cette ambition implique de réfléchir à tous les mécanismes de nature à faciliter les travaux portant sur les constructions existantes, et, à notre sens, la reconnaissance d’un effet pleinement extinctif de l’écoulement du temps sur le bâti existant est l’un des outils pertinents8.

C’est donc une affaire à suivre.

Fin remarque ▪

 

L'essentiel à retenir

 

  • L’article L. 421-9 du Code de l’urbanisme pose le principe d’une prescription au bénéfice des constructions irrégulières, tout en en limitant considérablement la portée.

 

Mots-clés : Prescription décennale - Construction irrégulière - Congrès des notaires

 

Notes

  1. V. les développements dans le rapport de la première commission du 99e Congrès, aux paragraphes [] et suivants, « que se passe t il si les travaux ont été faits sans autorisation ou ne sont pas conformes ? ».
  2. CE, 9 juill. 1986, n° 51.172, JurisData n° 1986-042605, Thalamy : Lebon, p. 201. – CE, 29 juin 2005, n° 267320, Raitière : Constr.-Urb. 2005, comm. 223, note G. Godfrin.
  3. 99e Congrès des Notaires, Deauville 25-28 mai 2003 : éd. ACNF, propositions de la 1re commission, Thierry Delesalle et Olivier Herrnberger, p. 78 à 110.
  4. Déplacé et renuméroté L. 421-9 en 2016.
  5. O. Herrnberger, Le sort des constructions illégales après la loi ENL : JCP N 2007, n° 19, 1172.
  6. S. Lamy et L. Pernet, Le régime des constructions irrégulières : Constr.-Urb. 2023, étude 13.
  7. Sur ce sujet, V. E. Carpentier, Amélioration du parc immobilier : comment faciliter les travaux sur le bâtiment existant au regard du droit de l’urbanisme ? : Actes prat. ing. immobilière 2022, n°1, dossier 9.

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