Introduction générale - Le notaire et la loi : « Et voudriez-vous… »
Après avoir soutenu brillamment une thèse de doctorat en 1969 intitulée Recherches sur l'exception d'inexécution, Jean-François Pillebout embrasse la carrière notariale. Il a exercé pendant plus de 40 ans jusqu'aux sphères les plus élevées de la profession où il occupa diverses responsabilités au Conseil supérieur du notariat. Auteur prolifique, il a également développé une riche activité éditoriale, jusqu’à devenir directeur de la rédaction dédiée au droit notarial, et directeur du JurisClasseur Notarial Formulaire à partir de 1990.
Jean-François Pillebout, qui a ainsi marqué de son empreinte tout le droit notarial, partage dans cet entretien sa connaissance érudite des travaux des congrès.
Ndlr :cet entretien fait partie d’un dossier plus important intitulé « Congrès des notaires de France : des propositions aux textes de loi », JCP N 2025, n° 1037, 20000-20020.
La Semaine juridique :Selon vous, quelles sont les raisons d’être du Congrès des notaires ?
Le premier congrès s’est tenu à Grenoble en 1891 sous la présidence de Me Gresse, notaire à Aoust (Drôme), qui devait assurer cette fonction durant les sept premiers congrès. Quatorze thèmes étaient affichés, tous concernant le fonctionnement des organismes et la situation des notaires. Les questions ne furent pas toutes épuisées et seront reprises ultérieurement. Citons le tarif légal à Nantes en 1894 qui ne fut adopté que 13 années après, la formation des candidats au notariat, la fiscalité des petits actes, les inspections, la compatibilité de l’usage de la machine à écrire et de l’authenticité, l’unité des notaires à l’égard du projet Clémenceau de fonctionnarisation du notariat (Lyon 2010), etc.
Des questions d’intérêt général furent aussi étudiées : la publicité foncière, le régime dotal, les régimes matrimoniaux, le fonds de commerce, l’instabilité monétaire, les groupements fonciers agricoles, l’ouverture internationale, le statut de l’enfant, etc.
Il apparut difficile de concilier les questions corporatives et les thèmes d’intérêt général dont l’étude allait croissante. C’est pourquoi, au Congrès de La Baule de 1950, fut émis le vœu que soit établie une liaison étroite entre les notaires librement élus des compagnies et le Conseil supérieur du notariat. La première réunion de l’Assemblée de liaison se tint à Paris le 18 décembre 1950. Le Congrès des notaires pouvait désormais se consacrer à l’étude de questions juridiques à portée d’intérêt général.
C’est sa raison d’être.
La Semaine juridique :Parmi les suites législatives et règlementaires du congrès, quelles sont, pour vous, les plus marquantes ?
Ces suites sont multiples, parfois peu spectaculaires mais pratiques. Un exemple réside dans les corrections apportées aux imperfections des règles de liquidation du régime matrimonial de la participation aux acquêts au lendemain du Congrès de La Baule de 1978.
Certaines réformes de pans du droit sont d’une importance capitale. Ainsi, ce fut le cas des réformes de l’indivision et des sociétés civiles, questions pour lesquelles l’expérience des notaires est déterminante. Pour illustrer cet apport du notariat à la réforme de l’indivision du 31 décembre 1976 et celle des sociétés civiles du 4 janvier 1978, il suffit de citer Jean Foyer, garde des Sceaux, promoteur de nombreuses réformes dans les années 1960 et 1970, alors président de la commission des lois de l’Assemblée nationale :
« J’achève la rédaction de deux rapports, l’un porte sur l’organisation de l’indivision, l’autre sur les sociétés civiles. Deux volumes sont sur ma table, l’un de couleur jaune, l’autre de couleur rouge, ils sont les sources principales de mon inspiration. Ils relatent l’un et l’autre, les travaux de deux congrès de notaires ».
L’autre exemple particulièrement frappant fut la réforme du droit des successions et des libéralités du 23 juin 2006. Loin de s’en tenir aux modifications qui pouvaient s’imposer, la réforme a comporté de nombreuses avancées directement issues des congrès. Pierre Catala, fidèle à nos réunions, outre ses interventions religieusement écoutées, y était lui-même toute oreille et sut mettre en forme les demandes notariales. Il les analysa et les mit en forme avec le groupe du doyen Jean Carbonnier. Ce fut « une offre de loi » dans laquelle le législateur pouvait puiser aisément. C’est ce qui arriva : la représentation du renonçant, la possibilité de renoncer à une libéralité, le cantonnement de la donation entre époux, la donation-partage dite transgénérationnelle, tout cela favorisant la transmission des biens à la jeune génération ; ajoutons aussi le mandat posthume, les libéralités graduelles ou résiduelles, etc.
Manque à cette énumération d’ailleurs partielle la renonciation anticipée à l’action en réduction pour atteinte à la réserve. C’est que l’équipe de Jean Carbonnier, dite de Vaugirard, nom de la rue de son domicile, n’y était pas favorable. Elle avait été préconisée audacieusement lors du Congrès de Deauville en 1975 par Jacques Motel et Paul Michelet, notaires associés à Paris, sous forme d’un pacte de famille pouvant porter réduction de la réserve. La proposition fut renouvelée plusieurs fois. Cette renonciation avec une autre forme passa dans la loi.
La Semaine juridique :Vous avez eu en charge au JurisClasseur d’écrire un fascicule sur le Congrès des notaires. Que pouvez-vous nous dire en synthèse sur son rôle ?
La vocation du JurisClasseur Notarial Formulaire est principalement de donner aux notaires les informations et les formules nécessaires à l’exercice de leur mission. Mais il a paru utile de décrire l’organisation de la profession, le fonctionnement des organismes prévus par les textes et à partir de là, de décrire ceux que les notaires ont créé volontairement : les congrès, l’Assemblée de Liaison, le syndicat des notaires, le Mouvement Jeune Notariat (MJN). Pour les congrès, la richesse des travaux, leur diversité, les rapports et les discussions permettaient de connaitre les problèmes rencontrés par les notaires et les fréquents obstacles s’opposant à satisfaire les demandes légitimes de leurs clients. D’où les vœux, ultérieurement dites propositions de réforme.
La Semaine juridique :Quelle est l’influence de ces contributionsdunotariat sur les règles régissant le droit des personnes et des affaires ?
Ces propositions ont permis d’aménager de nombreuses règles pour tenir compte des évolutions de la société. Il faut naturellement continuer à suivre les changements. Les conditions de vie des familles et de fonctionnement des entreprises évoluant en permanence, il convient de poursuivre le travail dans ces domaines.
La Semaine juridique :À quel domaine du droit pensez-vous que le congrès devrait s’intéresser davantage ?
Les matières choisies par les responsables des Congrès sont variées. Dès 1994, à Nantes, le thème retenu, l’environnement, fit dire au ministre chargé de cette importante question, Michel Barnier : « je me sens moins seul face à 7500 notaires ».
L’Europe fit l’objet de plusieurs congrès, le droit international, l’urbanisme également, la vente d’immeuble bien sûr, le crédit aussi. Pour l’urbanisme on a cité Montesquieu : « Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires ».
Une réflexion devrait être faite pour contrôler l’excès de normes qui complique le droit, paralyse l’activité, compromet la rentabilité de certaines activités. Les congrès ne devraient plus réclamer toujours de nouveaux textes et rechercher si les textes actuels correctement interprétés et appliqués ne suffiraient pas. Le congrès peut avoir une influence bénéfique sur la pratique notariale. C’est un moyen de mutualiser les connaissances pratiques. Il faut penser que la participation aux congrès est comptée pour la formation permanente des notaires.
La Semaine juridique :Comment selon vous, améliorer l’impact de ces propositions auprès des pouvoirs publics ?
Je pense que depuis plusieurs années les équipes procèdent de façon efficace. Les administrations intéressées, la chancellerie, les professionnels concernés, les juristes sont rencontrés, interrogés. Certaines personnalités sont invitées au congrès pour témoigner de leur expérience. Cela donne du poids aux propositions dont le contenu après explications lors de conférences de presse est diffusé par les journalistes.
Propos recueillis par Claire Babinet et Marie Fabre
50- La profession notariale organise des congrès annuels sur des thématiques d’intérêt général ou professionnel et dispose de l’Institut d’Etudes Juridiques du CSN (IEJ), qui constitue le plus ancien des instituts scientifiques du CSN. Il contribue à l’amélioration de la loi par la publication de rapports d'évaluation. A cette fin, l’IEJ s’appuie sur tous les notaires de France réunis dans le Réseau Marianne qui, au travers de questionnaires et d’enquêtes, recensent les « remontées de terrain » sur la manière dont une loi est appliquée et perçue. L'IEJ du CSN travaille à la préparation de contenus juridiques à destination de la profession de notaire. La profession notariale partage les conclusions de ses travaux juridiques. Le CSN peut être consulté par l’État sur les sujets concernant la profession notariale et impliquant le métier de notaire. Il contribue par ses travaux, à son initiative ou à la demande de l’État, à l’évaluation des effets de la norme de droit.
51- Le CSN fait toute proposition permettant la simplification de la norme de droit et facilitant la lutte contre l’inflation normative.
Mots-clés : Notaire